Portrait du Président Aoun piétiné par des manifestants à Beyrouth le 8 août (photo TAA)
Le président Aoun incarne le rejet des réformes encouragées par l’Elysee au Liban, même si, menacé de mort en 1990, il a trouvé refuge à l’ambassade de France à Beyrouth, puis à Paris pendant une quinzaine d’années.
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Il est rare qu’un chef d’Etat paraisse si gris à un homologue étranger qu’il est venu l’aider en pleine catastrophe nationale. C’est le cas de Michel Aoun lors de sa réception Emmanuel Macron, moins de 48 heures après la double explosion qui, le 4 août, a tué au moins 177 personnes et laissé plus de 300 000 sans-abri dans le centre de Beyrouth. Le président libanais, impliqué par des manifestants dans une telle catastrophe, aurait eu du mal à effectuer une visite sur le terrain, tandis que son homologue français a été chaleureusement accueilli par une foule en colère.
À peine Macron est rentré à Paris, Aoun a rejeté la proposition française d’une commission d’enquête internationale, créditant la thèse d’un tir de missile, tacitement attribuée à Israël. Par ce rejet de la transparence et ces accusations de complot, le président libanais a tenté d’étouffer le fait que, le 20 juillet, il avait été alerté des risques d’une explosion désastreuse. Plus généralement, le chef de l’Etat incarne, notamment après la démission du gouvernement le 10 août dernier, l’opposition décisive de la classe politique aux réformes promues par Paris. Pour comprendre cet antagonisme, il faut revenir sur trois décennies d’histoire tourmentée entre Aoun et la France.
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DU CHEF DE LA « GUERRE DE LIBÉRATION » CONTRE LA SYRIE…
À la tête de l’armée libanaise, le général Michel Aoun a proclamé, en mars 1989, la « guerre de libération » contre la Syrie, sanctionnant la division du pays entre deux gouvernements, l’un sous sa direction, l’autre favorable à Damas. Lui-même maronite, provoque ainsi la rupture du champ chrétien, avec un conflit sanglant entre ses partisans et les Forces libanaises (FL). Hafez al-Assad, dont les troupes occupent la majeure partie du Liban depuis 1976, joue la FL contre les « Aounistes ». À l’automne 1990, Assad a accepté de rejoindre la Coalition de libération du Koweït, annexée par l’Irak, en échange d’un soutien américain à la liquidation de la résistance anti-syrienne au Liban. En 1990 comme en 2020, les États-Unis n’ont pas accordé d’importance au Liban en tant que tel, une simple carte à frapper dans le combat de bras avec l’Irak, en 1990, et avec l’Iran, trente ans plus tard.
Ce n’est pas le cas de la France qui, sous François Mitterrand en 1990, comme sous Macron, en 2020, refuse de laisser le Liban être traité comme une variable d’ajustement pour les conflits au Moyen-Orient. Le Président socialiste n’hésite pas à comparer, en 1990, l’occupation du Koweït par l’Iraq, d’une part, et le Liban de la part de la Syrie, de l’autre, pour les juger tous deux intolérables. Mais le feu vert de la Maison Blanche à Assad permet à l’armée syrienne d’écraser les « aounistes » réduits en octobre 1990. Le général déchu, dont la tête est facturée par l’occupant, trouve asile à l’ambassade de France. Il y reste dix mois avant d’être exfiltré des services français à Marseille, puis à Paris. C’est depuis la capitale française qu’il organise son courant patriotique libre (CPL), déclaré rival de la FL dans la communauté chrétienne.
… AU RELAIS DU RÉGIME ASSAD AU LIBAN
Quand Aoun est revenu au Liban en 2005, il est resté convaincu de son destin d’homme providentiel, mais cette fois il a décidé de le jouer au profit de Damas, où Bachar al-Assad a succédé à Hafez cinq ans plus tôt. Alors que la « révolution du cèdre » jette des centaines de milliers de Libanais dans la rue et oblige le contingent syrien à pour finalement évacuer le pays, Aoun allie son CPL au Hezbollah dans un front pro-syrien sans précédent. L’ambitieux jeune homme de 70 ans s’est même rendu à Damas, en 2008, pour prêter allégeance à Assad. Cet alignement est renforcé avec la révolution syrienne de 2011, Aoun accusant l’opposition à Assad de « terrorisme » et soutenant l’intervention du Hezbollah en Syrie. Des années de manœuvres politiques lui ont permis, en 2016, d’assumer la présidence de la République. Il a confié le CPL à son gendre, Gebran Bassil, ministre de l’Énergie (2009-14), puis des Affaires étrangères (2014-20), qui agit en tant que dauphin officiel du chef de l’État.
Il est désormais clair qu’Aoun alimente une hostilité sourde envers la France. Il est clairement douloureux pour lui que Paris l’ait soutenu pour ce qu’il était en 1990 et refuse de cautionner ce qu’il est devenu depuis 2005. Mais c’est Aoun qui a fait une percée stratégique, la France est restée fidèle à son historien solidarité avec le Liban et son peuple. Bien sûr, Aoun est loin d’être le seul homme politique libanais à avoir des revers spectaculaires. Mais celui qui a incarné une certaine idée de l’indépendance libanaise est aujourd’hui la figure de proue d’un système collectivement stigmatisé par la population. Son gendre est également accusé par les manifestants d’avoir organisé la faillite de l’électricité publique, le tout au profit du fournisseur de groupes électrogènes, qui peut ainsi imposer son diktat au consommateur libanais.
Aoun, qui a aujourd’hui 85 ans, ne pardonnera probablement jamais à la France de l’avoir sauvé il y a trente ans. Cette rancune paradoxale complique encore la définition de la manière de sortir de la crise libanaise, dont la grande majorité de la population a néanmoins un besoin criant.