F/A18 Hornet sur le pont du porte-avions Eisenhower (BRUXELLES2)
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Les tambours de l’intervention militaire roulent. Les mots sont claqués. Terrorisme, déstabilisation, danger. Pour la cinquième fois en 20 ans, une coalition internationale est formée pour intervenir dans le monde face au « terrorisme » — même deux fois déjà dans le même pays (Irak 1991, Afghanistan 2001, Irak 2003, Libye 2011). De façon assez surprenante, nous nous laissons très peu de temps pour les explications, préférant laisser libre cours à l’émotion. L’exécution publique de certains otages compense donc toutes les questions. Et pourtant, il y a…
L’axe du mal a changé de camp
L’ennemi est désormais désigné. Ce n’est plus Al-Qaïda ni les talibans, cette fois ce ne sont plus Saddam ou Kadhafi, les talibans afghans qui sont pris pour cible, l’ennemi est l’Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL, EIIL ou ISIS selon les noms). Tout le monde s’exprime aujourd’hui, presque ouvertement (ce qui est un changement), et des informations sont échangées : Américains et Iraniens, Français et Algériens, Arabes du Golfe entre eux. Le dirigeant syrien Bachar al-Assad n’est plus détesté, il n’est plus l’ennemi à abattre. L’Iran est en train de devenir un allié plus que fréquentable, un partenaire. Quant à la Russie de Poutine, elle reste silencieuse, victorieuse dans sa position initiale : soutenir les régimes en place. Et l’axe du mal a changé de camp. Un terroriste est en train de chasser l’autre. Mais ils restent tous en place, à l’exception de certains « despotes », qui ont des valses, mais à leur place, c’est un terreau de haine et de grande instabilité qui s’est installé. Quelle leçon peut-on tirer de l’expérience passée ? Comment pouvons-nous freiner les flambées d’instabilité qui existent déjà ? Comment éviter d’en créer davantage ? Qui sera « l’ennemi » de demain : en 2015, 2016, 2020 ?
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Une coalition en mode « Improvisation »
Insensible, l’intervention occidentale est passée du soutien humanitaire, puis de l’équipement militaire aux forces kurdes et irakiennes, à un véritable engagement armé mené par une coalition dont les contours sont encore flous. Nous apprenons les manifestations de l’autre jour après jour, parfois au moment d’un attentat à la bombe. Cette coalition assez informative rassemble de manière très malheureuse, et pour dire la plus dangereuse, ce qui ressort de l’action universelle — l’action humanitaire — et ce qui émerge de l’action forcée. De plus, il n’a pas encore de commandant en chef nommé, bien qu’il soit clair que c’est l’état-major américain basé au Qatar qui coordonne le tout. Il n’a pas encore de nom, bien qu’au niveau national, chaque pays ait attribué un nom de code (Chammal pour la France). Aucune organisation n’a pris le relais de cette coalition, qui pourrait donc rester ad hoc comme elle l’a fait en 2003. Le mélange humanitaire et militaire est-il une bonne chose ?
Une stratégie difficile à percevoir
La guerre va durer plusieurs mois, plusieurs années, préviennent les chefs d’état-major. Mais dans quel but ? Blur règne. Tout le monde n’a qu’un mot en bouche : « neutraliser », « éradiquer » l’EIIS. Mais c’est une stratégie un peu courte. Nous avons vu comment cette stratégie « contre » un ennemi désigné a joué des tours en Afghanistan. « éradiquer » signifie « porter le tapis ». Cependant, ce n’est pas un groupe d’une vingtaine de desperados qu’il s’agit de faire taire. Mais plusieurs milliers de soldats (entre 20 et 25 000 selon les estimations), avec équipement, financement et organisation. Une organisation qui parvient à drainer derrière elle non seulement les populations locales mais aussi les « immigrés » européens. Des gens qui, jusqu’à présent, ne devaient se battre qu’entre sunnites et chiites, mais qui ont besoin de regagner la fierté d’avoir perdu ou de ne pas avoir avait. Encore une fois, nous ne comptons pas ces « combattants européens » (et non les étrangers comme on les appelle souvent facilement) sur les doigts d’une main mais sur des centaines. Le risque de réimporter le conflit, pendant le conflit ou à la fin du conflit, n’est pas une vision théorique. Le renforcement de la police sera-t-il suffisant ?
Une guerre étrange
Combattre l’EIIS par des raids aériens semble être la partie la plus simple et la plus facile de l’opération, je dirais presque la plus joyeuse, du moins la moins coûteuse politiquement. La vraie bataille se déroulera ailleurs. C’est une grande différence avec les engagements clés. Lors des interventions précédentes (Afghanistan, Irak, Libye…), après les premiers jours, un proche avait suivi l’indifférence. Seuls les militaires, leurs familles et certaines personnes sensibilisées se sont sentis concernés. Aujourd’hui, avec la présence de combattants européens, en nombre, c’est le contraire. Le plus grand danger de cette avancée de l’EIIS (alias État) Islamic) à partir de l’intervention militaire qu’il sera derrière. Cela est d’autant plus difficile pour nos sociétés, pour nos démocraties qui devront se battre sur plusieurs fronts : s’il faut maintenir leur sens de la liberté et de la discussion, pour ne pas céder à la peur et à l’intolérance, et lutter contre d’éventuels « fauteurs de troubles ».
Arrêtez l’usine terroriste
En fait, l’effort ne doit pas se concentrer tant sur l’offensive de guerre que sur la reconquête des esprits et des corps au sein de nos sociétés. Si un effort de compréhension, un sentiment d’intégration plus profond, un changement de vitesse et de discours n’est pas réalisé, l’ « usine terroriste » continuera de fonctionner. Et les conséquences de cette intervention seront plus graves que la non-intervention. Il faudra avant tout donner du sens et de la fierté à certains citoyens européens qui ne se reconnaissent pas (ou pas assez) dans leur pays d’origine (France, Belgique, etc.) et préfèrent donner du sang et énergie dans d’autres pays. Si nous ne commençons pas à comprendre ce qu’est l’islam aujourd’hui, à lui donner un sens plus moderne, à lui donner toute sa place dans le débat public, à ne pas le mépriser, à l’éliminer uniquement en cas de problèmes, nous nous dirigeons vers un avenir très difficile.
(Nicolas Gros-Verheyde)
NB : Le décompte des « Guerres du Golfe » obéit à plusieurs analyses. La guerre Iran-Irak est parfois considérée comme la première guerre du Golfe. Je ne mentionne ici que les « guerres » menées au sein d’une coalition internationale au rythme d’environ une tous les 10 ans (1991, 2003 et 2014)